
En mai dernier, je suis retournée en Côte d’Ivoire, 21 mois après ma dernière visite. Toute ma famille y vit. Ça fait long je sais. C’est aussi l’avis de maman. Les expatriés savent très bien ce que ça signifie : au programme des vacances, le traditionnel tour pour dire bonjour aux tanties et tontons. Maman a quand même eu la gentillesse de me laisser une journée de repos pour me remettre du décalage horaire et aussi, soyons honnêtes, pour qu’elle puisse profiter toute seule de son bébé de 30 ans qui est de retour. Mais dès le lendemain, on attaque!
C’est tombé un samedi. A Tahiti, ce sont les coqs qui te réveillent au lever du soleil. A Abidjan, ce sont les bruits des casseroles des maisons à coté, témoignant de l’effervescence dès 6h de la ville qui se réveille. Il faut croire que j’étais la seule personne en vacances dans le coin. Le rendez-vous avec la première tantie avait été pris pour 11h-11h30. En prenant en compte les embouteillages, un départ pour 10h se prêtait bien à l’emploi du temps. Il me fallait à peine 30 à 45 minutes pour me préparer tranquillement sans me presser et me laisser le temps de rentrer dans l’agitation environnante. J’étais large. Maman ne le voyait pas ainsi. Ses regards insistants pendant que je prenais mon petit déjeuner en lisant dans le calme le plus absolu indiquaient sans ambiguïté que ma nonchalance n’était pas à son gout. Moi je l’observais dérouler son rituel de préparation : prendre sa douche, choisir une tenue, la faire repasser, l’essayer, ne plus l’aimer, choisir une deuxième tenue, la faire repasser, la porter. A 9h, elle était à l’étape maquillage quand j’ai décidé de m’activer. En moins d’une heure, j’ai annoncé : « Je suis prête! On peut y aller! »
Mon histoire commence là.
Elle m’a regardé de haut en bas, l’air de ne pas comprendre. J’étais pourtant habillée : un top blanc à manches courtes bouffantes, ma petite jupe noire passe-partout et mes chaussures roses de chez Miista. J’avais mis des bagues, des boucles d’oreille, un petit collier bohème : bref tout ce qu’elle me reprochait de ne pas porter à une période de ma vie quand elle voulait que je sois plus « féminine ». Du coup, c’était quoi le problème? Puis d’une voix un peu hautaine, le regard rempli d’incompréhension et de déception, elle m’a balancé l’air de rien : « tu es prête comme ça? tu ne te maquilles pas? » En cet instant, je me souviens avoir senti mon cœur battre plus fort, mes narines frémir et une colère sourde grandir en moi. Mais, mes lèvres se sont à peine entrouvertes pour répondre un timide « non, je ne me maquille pas ». Je n’avais pas envie de me disputer avec elle après tout ce temps loin.
Mais, comment ça je ne me maquille pas? Je me suis mise du crayon dans les sourcils çà compte pas? Qu’est ce qu’elle veut? Que je me rougisse la bouche au rouge à lèvres? Ou que je me badigeonne le visage avec du fond de teint? Ou que je me fasse un regard de biche avec le mascara? Qu’est ce qui ne va pas avec mon visage pour qu’elle veuille à ce point que je ne l’expose pas en public tel qu’il est, nu et sans artifice? Surtout avec cette chaleur.
Elle n’avait pas non plus envie de se disputer. Nous avons pris la route.
Doute
Comme des millions de femmes, j’ai développé dans les débuts de ma vie d’adulte de l’acné. J’ai difficilement appris à vivre avec mon visage défiguré par les boutons puis à accepter mon visage et ne plus le qualifier de défiguré et finalement à l’aimer avec ses cicatrices, témoins de ce passé acnéique. Avoir un visage marqué par l’acné ne remet plus du tout en question ma confiance en moi et mon bien-être mental. Ces cicatrices font partie de qui je suis et je n’ai pas à les camoufler. Surtout quand je n’en ai pas envie et qu’il fait chaud à faire couler le fond de teint. Du moins, c’est comme ça que je vis la chose la plupart du temps. Sauf ce fameux jour où ma mère m’a replongé, sans le vouloir, dans une profonde insécurité. Ce sont les personnes aimées qui nous font le plus mal (Venant d’une autre personne, je n’aurai pas été si blessée au point d’en faire tout un article de blog). Et si mon visage était vraiment moche? Et si c’est juste moi qui m’y suis trop habituée? Et si elle avait raison et qu’il fallait que je fasse un effort de camouflage?
Malheureusement, je n’ai pas trainé toute cette remise en question qu’une journée. Elle m’a suivi pendant une semaine environ me faisant passer du doute à la colère puis à la reprise de confiance en moi. Et rebelote. J’ai ressenti de la honte aussi. Honte d’avoir été aussi réceptive à ces petits commentaires sur mon apparence et d’avoir balayé en une fraction de seconde tout le travail d’introspection qui m’a amené à être en paix avec mon visage non maquillé. Honte d’avoir eu ce moment de faiblesse où je me suis retrouvée à errer sur le site web de Sephora pour trouver un compromis entre ne pas trop se maquiller ( je fais un raccourci entre se maquiller et se mettre du fond de teint. Je sais. ) et en faire suffisamment pour faire paraitre ma peau aux autres comme parfaitement unifiée. Dans ce moment de tristesse et de doute, j’ai aussi été tentée d’acheter des vêtements en ligne alors que je n’en ai pas besoin. Juste pour passer le temps et pour m’accorder une sorte de satisfaction éphémère à l’idée d’acquérir une nouvelle chose pour le plaisir ponctuel que ça apporte : surconsommation. Je suis fière de ne pas avoir céder. Mais il est intéressant de constater avec quelle facilité je me suis tournée vers l’achat compulsif pour détourner mon esprit de ce moment difficile plutôt que de le surmonter…
Je n’ai rien acheté sur Sephora. Aucun fond de teint, ni BB crème, ou CC crème. Pendant que je parcourais les nombreux choix de fond de teint essayant de saisir quelque chose à tout ce jargon et me demandant comment faire un choix, j’ai réalisé être entrée dans un gouffre d’ennui : je m’emmerdais. Mais à un point. Je ne trouvais aucun intérêt à savoir quelle couvrance ce fond de teint m’apporterait ni des bienfaits pour ma peau si je prends cet autre produit. Le maquillage n’a jamais été une passion. J’ai toujours eu la flemme de le faire et d’apprendre à le faire bien. Contrairement à d’autres personnes qui ont un véritable amour pour la chose. Comme toutes les adolescentes à Abidjan, j’ai eu ma phase gloss brillant gout fraises ou autre. Et c’est tout. Puis jeune adulte vivant à Paris, je suis passée à l’étape au dessus avec le rouge à lèvres et l’eye-liner de couleur. Mon acné et mon envie d’affirmer ma féminité comme les copines m’ont conduit vers le maquillage un peu plus poussé : le fond de teint. J’en ai essayé pas mal : du dream mat mousse au Double Wear Estée Lauder en passant par la bb crème teintée de Kiehls. J’en suis devenue accro petit à petit. Je ne me voyais plus sortir sans cette couche teintée de camouflage qui pour être honnête ne cachait pas grand chose. Mais elle me donnait juste l’impression d’être plus belle dès l’instant où j’avais posé ce filtre Snapchat.
Jusqu’au déclic. Il est venu d’une amie : Marianne. Nous étions chez elles à discuter entre femmes. Et elle a dit quelque chose qui ressemblait à ça :
je ne vois pas pourquoi je m’imposerai de mettre quelque chose sur MON visage juste parce que les autres pensent qu’il le faut.
Cette parole a résonné en moi et me suit depuis lors. Je me suis sentie con. Putain, elle avait entièrement raison et j’étais du même avis. Pourquoi je m’impose ça alors que je déteste le faire ainsi que toutes les contraintes qui y sont liées : les taches sur les vêtements, le sentiment de ne pas se reconnaitre au démaquillage, le sentiment d’imposture au réveil non maquillée et surtout la perte de temps? Je passais du temps (pas beaucoup certes mais quand même) à me maquiller, me démaquiller, à chercher quel nouveau produit acheter sans apprendre quoi ce que soit ni prendre de plaisir à le faire. Tout ceci n’était pas en phase avec qui je suis. Je me sens plus vivante et plus confiante en prenant du temps pour l’écriture que pour le maquillage. Une partie de ces lignes ont pris vie parce que j’ai fait ce choix. Cette façon de penser m’a aussi réconcilié avec mon acné. Après avoir perdu des centaines d’heures à lire des articles sur comment m’en débarrasser plutôt que de prendre ce temps pour me nourrir intellectuellement et spirituellement, je me suis enfin libérée de toutes ces contraintes et me suis tournée vers ce qui me faisait me sentir vraiment belle, intérieurement et pour de vrai.
Alignement
Quatre jours après l’histoire que je vous ai raconté, il y’a eu un acte 2. Encore plus ridicule que l’acte 1. Cette fois, j’allais à cinq minutes à pied de la maison pour des tresses quand maman m’a déclaré ne pas comprendre mon entêtement à ne pas mettre de fond de teint. Je sais pourquoi je ne me maquille pas. Je m’en suis souvenue. Mais, pourquoi ma mère est si obsédée par le fait que je ne me maquille pas?
Il y’a tellement de raisons qui amènent les femmes à se maquiller de nos jours. Celles qui se maquillent le font par plaisir, pour réveiller leur fibre artistique, pour se redonner confiance en elles (l’association Joséphine à Paris utilise le maquillage et les soins pour redonner confiance en elles aux personnes fragilisées en leur permettant de retrouver une place au sein de la société et de reprendre le pouvoir sur leur vie). Le maquillage peut aussi être utilisé comme une arme politique de lutte pour revendiquer le droit des femmes à disposer de leur corps comme elles l’entendent à l’instar des Afghanes qui ont vu leurs droits leur être retirés à l’arrivée des Talibans au pouvoir. Se maquiller est parfois une affirmation de soi et un acte féministe. Certaines se maquillent aussi pour (malheureusement) être conforme aux injonctions qui imposent aux femmes d’être toujours belles pour plaire, particulièrement aux hommes. Ce dernier point me fait penser au témoignage d’une amie proche me racontant subir une pression de sa mère pour qu’elle se maquille et prenne soin d’elle afin de maintenir la flamme dans son couple, la menaçant même d’un risque de voir son compagnon la quitter car se laissant trop aller… Une étude de l’Ifop menée en 2020 nous révèle que 46% des femmes de plus de 65 ans en France voient comme du laisser-aller le fait de ne pas se maquiller en public. Ma mère et la mère de mon amie ne vivent pas en France mais elles correspondent à la tranche d’âge et surtout semblent penser pareil. Serait-ce donc ça? Juste une énième tentative de ma mère de m’orienter vers ce qu’elle pense être bien pour moi?
Je ne rejette pas le maquillage. Loin de là. Au final, je m’arrange les sourcils, avec plus ou moins de succès, quand je vais au travail. Des fois, je me mets du rouge à lèvres pour réveiller mon visage un peu terne, parfois parce que j’en ai envie dans une démarche d’affirmation de soi. Je ne mets pas de fond de teint ; il fait chaud à Tahiti et flemme. J’en mettrai probablement à nouveau mais je n’en vois pas l’intérêt dans ma vie quotidienne. Le maquillage a été ma solution pour me sentir bien pendant ma période acné jusqu’à ce que je me sente assez forte mentalement pour ne plus en mettre et m’accepter. Passer par l’étape maquillage a permis mon évolution et a été l’expérience qui m’a fait comprendre que je devais travailler sur autre chose pour être sure de moi. Parce que la solution maquillage ne fonctionnait plus pour moi.
Au final, comme dans tout, l’essentiel c’est d’être en adéquation avec soi.
Celles qui ne se maquillent pas ont une pression sociale ou familiale soi-disant qu’elles se laissent aller. Celles qui se maquillent sont critiquées de tricher avec leur apparence ou de ne penser qu’à ça. La grande question c’est quand est ce qu’on arrête d’emmerder les femmes au sujet de leur visage, leur corps, leur sexe?
Mais ce sera pour une autre fois si tu veux bien.
Bonne journée/Bonne soirée
