LemonBook: Une si longue lettre de Mariama Ba

Je suis convaincue que plusieurs d’entre vous connaissent déjà bien Une si longue lettre de Mariama Ba. Moi-même je l’avais lu quand j’étais au collège/lycée en Cote d’Ivoire. En Avril dernier, pendant mon séjour en France j’ai fait une petite razzia de livres féministes pour un projet à venir et je suis tombée sur ce livre. Mettons ça sur le compte de la nostalgie ; j’ai eu envie de me replonger dans cette longue lettre que l’héroïne Ramatoulaye écrit à sa meilleure amie Aissatou après la mort de son mari. Elle y relate ses bonheurs passés et présents : l’importance de l’école dans sa vie, ses souvenirs d’adolescente, sa rencontre avec son mari, ses enfants. Ainsi que ses malheurs et déconvenues.

Et déconvenues il y’en a eu. A commencer par la trahison de son mari après vingt-cinq années de mariage, sa vie de femme mariée mais seule à s’occuper de 12 enfants, la mort de son mari, la surenchère des funérailles et l’attitude insensible de sa belle famille. La lettre de Ramatoulaye ne parle pas que d’elle. Elle nous dépeint la société sénégalaise et particulièrement dakaroise des années post indépendance et ses tentatives pour marier les idées modernes et occidentales à leurs traditions. Elle nous emmène avec elle découvrir les réflexions post indépendance de la jeune élite sénégalaise, le système de castes et ses conséquences, la cupidité qui gangrène la société, les superstitions et maraboutages. Elle nous révèle la condition des femmes au Sénegal de son époque, victimes et sacrifiées. Victimes de la société qui ne voit leur valeur qu’à travers un mari, victimes d’une mère prête à vendre sa fille pour gagner en statut social, victimes d’une belle-mère qui ne supporte pas de voir son fils lui échapper, victimes de maris qui se cachent sous des faux prétextes pour prendre une seconde épouse. Sacrifiées pour plaire à leur mari, à la famille de leur mari, à la société.

Son histoire se passe au Sénégal mais je me souviens m’être plusieurs fois dit en lisant ce livre “ça ne m’étonne pas”, “j’en étais sure”. Pas parce que je l’avais déjà lu auparavant. Pour être honnête, j’avais oublié les détails de l’histoire. Elle ne m’était pas étrangère parce que reflétant des réalités visibles en Côte d’Ivoire. Le plus choquant a tout de même été de réaliser que ce livre a été écrit en 1979 mais certaines des histoires racontées sont toujours d’actualité. Une si longue lettre est un livre féministe. C’est évident. On peut ne pas être d’accord avec quelques déclarations du livre notamment quand Ramatoulaye dit :

Point de mire de tant d’yeux, je pense que l’une des qualités essentielles de la femme est la propreté. La plus humble des chaumières plait si l’ordre et la propreté y règnent; le cadre le plus luxueux ne séduit pas si la poussière l’encrasse.

Je ne suis pas d’accord avec l’association faite entre la femme et la propreté comme si une femme, tout particulièrement, se doit d’être propre et notamment pour pouvoir séduire…J’aurais dit que tout le monde doit l’être, homme et femme et c’est tout. Ou pas. On s’en fout. En tout cas, cette déclaration n’enlève rien au caractère féministe et dénonciateur de la condition des femmes du livre. C’est un roman qui pointe du doigt les discriminations de genre, les représentations claires de la supériorité des hommes sur les femmes dans les us et coutumes et l’exploitation des jeunes filles et femmes pour l’enrichissement personnel. J’ai aussi beaucoup reconnu ma mère dans le parcours de Ramatoulaye : jeunes filles intelligentes et éduquées, mères seules à s’occuper de leurs enfants, jeunes femmes indépendantes financièrement, mais qui sont quand même adeptes ou se plient à certaines des pensées sexistes de l’époque. Ce livre m’a fait comprendre un peu mieux ma mère. Malgré son attachement à des représentations sexistes surtout au niveau de l’intime (nous avons tous ancrés en nous des comportements sexistes du simple fait d’appartenir à la société patriarcale. Et c’est important de le reconnaitre pour s’en affranchir. L’idée est un peu plus détaillée dans l’article sur Tout le monde doit être féministe de bell hooks ici), ma mère, nos mères sont des féministes. La lutte ne pouvait se faire sur tous les fronts. Nos mères ont fait la lutte des droits des femmes, de l’éducation et de l’indépendance financière pour les femmes.

Pour finir, une des choses qui m’a le plus touché dès la première page du livre, c’est l’esprit de sororité entre Ramatoulaye et Aissatou. Ramatoulaye nous y donne un indice du lien fort qui existe entre ces deux femmes :

Notre longue pratique m’a enseigné que la confidence noie la douleur

Ou encore un peu plus loin :

L’amitié a des grandeurs inconnues de l’amour. Elle se fortifie dans les difficultés, alors que les contraintes massacrent l’amour. Elle résiste au temps qui lasse et désunit les couples. Elle a des élévations inconnues de l’amour

Tout au long du récit, Ramatoulaye nous gratifie de déclarations d’amour envers l’amitié forte et solide qui existe entre elle et Aissatou; une amitié dans le bonheur et le malheur, une amitié qui ne cache rien et dévoile toute sa détresse à l’autre, une amitié qui ne juge pas et qui soutient. J’ai ressenti qu’à travers Aissatou, c’est une déclaration et une envie de réelle sororité entre les femmes que souhaite Ramatoulaye. Elle le dit à la fin :

Mon coeur est en fête chaque fois qu’une femme émerge de l’ombre

Elle nous rappelle la force de la solidarité. Une si longue lettre est une jolie lettre d’amour d’une soeur à une soeur dont l’écriture imagée et la tonalité chantante nous renvoient directement aux contes africains. Il se lit très bien et s’apprécie tout le long. Je le recommande.

Laisser un commentaire