LemonBook : l’Odyssée de Pénélope de Margaret Atwood

Etant moi même amateur de mythologique grecque , et ceci bien avant d’avoir vu Brad Pitt dans Troie, c’est surtout en premier pour la promesse d’un retour à ces mythes que j’ai été tentée de lire l’Odyssée de Pénélope (ou The Penelopiad, titre en anglais). Je me souviens encore de mon seul séjour en Grece où nous avions préféré l’histoire et les mythes grecs aux iles festives et autres plages paradisiaques. Nous avions parcouru en voiture le Peloponnèse en se remémorant les histoires de ces dieux jaloux, impulsifs, incontrôlables, violents, violeurs (qu’est ce qui ne tourne pas rond chez eux?) mais aussi des aventures et faits héroiques de demi-dieux et mortels aimés des Dieux.

Ulysse est l’un d’entre eux. Ulysse, le rusé, le préféré de la déesse Athena, celui qui a eu l’idée du cheval de Troie dans l’Illiade (il se serait fait inspiré par Athéna elle-même), l’éternel voyageur. Ulysse semble toujours aux prises entre le frisson de l’aventure et le cocon familial auprès de Pénélope. Dans l’Odyssée, on peut suivre Ulysse pendant un périple de dix ans cherchant à rejoindre Ithaque. Il souhaite rentrer à la maison mais, en même temps, ne se fait pas prier pour profiter de son voyage qui s’éternise. Pendant ce temps, sa femme Pénélope à Ithaque ne fait rien. Rien de marquant du moins. Elle attend le retour de son époux comme une bonne épouse. Elle fait et défait une toile dans le but de gagner du temps et de repousser le plus possible le moment où il faudrait qu’elle se choisisse un nouveau mari. Dans l’Odyssée, il est surtout question d’Ulysse. C’est lui qui est parti et qui a fait des choses incroyables. Pénélope est restée et n’a rien fait d’extraordinaire ; bien qu’on peut constater par la ruse de la toile qu’elle avait aussi de quoi rivaliser avec son mari en terme d’ingéniosité. Il n’empêche que de l’Odyssée, ce n’est pas ce qu’on retient en premier. D’ailleurs, je me souviens avoir eu de la peine pour Pénélope en lisant les péripéties du voyage d’Ulysse. Son mec partout les océans et couche avec une belle magicienne et une nymphe ; tandis qu’elle l’attend et doit lui rester fidèle.

C’est là qu’intervient le livre de Margaret Atwood. Finalement, Pénélope, on dit qu’elle ne fait qu’attendre mais c’est surtout parce qu’on ne nous a pas raconté l’histoire selon son point de vue. Dans The Penelopiad (je préfère ce titre), Margaret Atwood nous livre l’histoire de Pénélope : sa naissance, son enfance, sa vie. Elle se permet aussi de nous livrer les pensées d’une Pénélope bien loin du cliché du mythe. Pénélope est rusée, acerbe, perspicace, quelque fois manipulatrice. Pénélope tient son destin entre ses mains pendant ces vingt années. Elle gère les affaires d’Ithaque et consolide le pouvoir d’Ulysse. Pénélope est tout sauf passive. Pénélope n’est pas parfaite : elle jalouse et envie sa cousine Hélène qu’elle tient pour responsable de ses malheurs tout en se comparant à elle constamment. Neuf fois dans le livre, j’ai compté, elle se compare à Hélène ou parle d’Hélène. Ce sont des passages que j’ai trouvé peu intéressants à la lecture et ne servant pas à l’histoire. Une femme qui jalouse une autre pour sa beauté, c’est « si patriarcat ». Mais peut être que l’autrice voulait nous le faire voir justement. Pénélope n’est pas un mythe ; c’est la femme des temps modernes, qui a aussi intégré le patriarcat en tant que norme sociale et donc a des pensées et attitudes non-féministes. Margaret Atwood ancre aussi Penelope dans la période contemporaine et dans notre réalité par sa façon de parler. Un peu dans le style de la mini-série Arte 50 nuances de grecs (que je vous conseille vivement). Au fond, ils sont comme nous tous ces gens des mythes. Comme disait Sylvain Tesson sur Homère et son oeuvre : “Homère a tracé un portrait de l’homme qui, jusqu’à preuve du contraire, ne s’est pas modifié, dans tout ce qu’il y a de plus héroïque et de plus lamentable”

Une dernière chose. Cette fois-ci, je ne les oublierai pas. Qui ça? Les douze servantes. Tuées par Télémaque sous les ordres de son père. Comment ai-je pu passer à coté? Comment ai-je pu les oublier? Dans l’Odyssée, on les présente comme des femmes fourbes qui ont déshonoré leur maitre et ont trahi leur maitresse. Dans l’Odyssée de Pénélope, l’autrice leur donne une chance de faire récit de leur propre histoire et leur redonne une place dans notre souvenir. Elles interviennent par intermittence avec le récit de Pénélope dans une sorte de choeur. Elles nous racontent bien de choses. On comprend vite que leur sentence était prononcée depuis la naissance de par leur condition sociale :

On nous disait sans mère. On nous disait sans père. On nous disait fainéantes. On nous disait sales. Sales, nous l’étions. La saleté, c’était notre affaire, notre domaine, notre spécialité, notre tare. Nous étions sales, salaces. Si notre maitre, un noble de passage ou leurs fils désiraient coucher avec nous, pas question de refuser. Inutile de pleurer, inutile de geindre.

Une fois adulte, tout était de leur faute :

C’est la faute aux servantes! Des trainées, bêtes et méchantes! Qu’on les pende et vilipende – C’est la faute aux servantes!

En suivant la tradition de l’écriture d’Homère, Margaret Atwood nous enchante de poèmes résonnants comme des chansons et nous fait voir dans notre imagination ces jeunes filles sur une scène de comédie/drame musical. Elle nous amène à nous pencher sur ce qui s’est passé ce jour là où douze jeunes servantes ont été pendues. Quelles vérités se cachent derrière cette scène macabre?

Je vous invite à les découvrir en lisant l’Odyssée de Pénélope.

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