Nouvelle : Le message (Partie 1)

Hina fait partie de ces gens qui ne regrettent jamais. Quand la décision est prise, les « et si » ou « j’aurais du » ne servent à rien. La meilleure chose à faire est de s’y tenir et essayer d’en tirer du positif. Ça, c’est ce qu’elle se dit habituellement. Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis et Hina, coincée dans sa voiture sur le boulevard Pomaré éprouve ce qu’elle pense être du regret. Pourquoi a t-elle voulu traverser la ville en plein milieu de la journée? Ah oui, pour aller la plage. Il est midi à Tahiti et le soleil est au zénith. Dans sa voiture rouge, Hina cuit. Le moindre superflu accentue la chaleur, y compris la musique qui sort des enceintes. D’un geste agacé, elle l’arrête. Il fait beaucoup trop chaud, même pour Beyoncé. Lunettes de soleil, bikini, les rayons du soleil pénétrant dans la voiture, le bronzage se peaufine déjà. La tentation de faire demi tour est forte mais la promesse d’une baignade éveille en elle une telle félicité qu’elle doit tenir bon. Depuis quelques jours, il fait une chaleur atroce à Tahiti. Chez elle, fini le farniente à l’extérieur. La terrasse n’est pas couverte et malgré qu’elle vive dans les hauteurs de l’ile, aucune brise fraiche n’y parvient. Sous les toits, les moustiques font la guerre à quiconque oserait s’y aventurer. Elle a donc fui. «J’aurais du prendre une douche froide » finit-elle par lâcher. 

Tout le monde semble avoir eu la même mauvaise idée. Si ce n’est à la plage, où courent-ils donc tous? Se questionne t-elle. Courir n’est pas le mot adéquat ici. Le trafic est si dense et lent sur le boulevard qu’on parlerait plutôt de ramper comme un escargot pour décrire le mouvement. Les motos et scooters arrivent tant bien que mal à gagner des mètres en se faufilant par-ci, par-là. Les chanceux. Pendant ce temps, les voitures impuissantes car trop grosses sont bien obligées de subir le flux ralenti de la route. Comme Hina. C’est toujours pareil à midi. Une fois sur l’avenue Prince Hinoi, elle pourra sentir le vent s’engouffrer dans la voiture. En attendant, les vitres baissées parce que la clim dans la voiture c’est non, Hina observe le centre-ville de Papeete.

A Tahiti, l’océan n’est jamais bien loin. Sur ce tronçon embouteillé, il suffit de tourner la tête à gauche pour l’apercevoir. Avec un peu de chance, la vue ne sera pas obstruée par un de ces immenses immeubles des mers qui visitent parfois l’ile. Ah! Loupé! De l’autre coté, sur le trottoir, sa horde de touristes vomie ce matin fait partie du flot de gens qui vadrouillent à la recherche de souvenirs polynésiens à emporter avec eux comme preuve de leur passage. Ils ne chercheront pas bien longtemps ; les abords de la rade de Papeete sont devenus une sorte de galerie marchande avec ses boutiques de perles aux prix excessifs. Les propriétaires n’ont aucun doute : les touristes sont prêts à faire saigner le compte bancaire pour ramener une perle noire de Polynésie. Le capitalisme est bien installé au paradis. Des petits stands de couronnes de fleur ou d’ukulélé tahitien artisanal essaient tant bien que mal d’exister dans ce marché compétitif du cadeau de touriste. Quelques notes de musique s’échappent d’un de ces stands et se fraient timidement un chemin jusqu’aux oreilles des passants au milieu du brouhaha ambiant de vrombissements, de klaxons et de bruits de marteaux-piqueurs. 

Hina est sur la fin de l’embouteillage. Un dernier feu tricolore qui fait pester notre jeune conductrice et en route pour la plage. Beyoncé est aussi de retour dans la voiture avec l’espoir que la bonne humeur fasse aussi son retour. En vain. La chaleur extrême met les nerfs à vif. Tout devient facilement source d’irritation. Hina s’énerve. Une présence oppressante en est la cause. Sur la route en file indienne ou parquées en attente de leur humain sur les cotés, les voitures ont remplacé la végétation luxuriante et les cascades présentes dans les fantasmes sur Tahiti. Du moins dans sa partie urbaine. Au revoir Tahiti douche, bonjour Tahiti pollution. L’ile en est envahie. Il en sort de partout, de tous les carrefours, de tous les espaces vides. Si une voiture peut passer, une voiture en sort. Des belles, des cabossées, des incomplètes, des rutilantes, des énormes 4×4, des grises, des noires, des blanches, quelques colorées, des Tesla, des A, surtout des pressés. L’invasion fut rapide et efficace. La faiblesse du système de transports en commun et la difficulté d’accès à pied ou à vélo d’une bonne partie des habitations ont beaucoup aidé. Hina est énervée parce qu’elle se sait faire partie du problème qu’elle dénonce, assise dans sa voiture. Le drame de sa génération est d’être tiraillée entre leur conscience et leurs actions.

L’océan, la plage, la vue de Moorea en face et les montagnes majestueuses encadrant ce doux tableau lui font vite oublier l’énervement, le tiraillement et les problèmes environnementaux. La jeune fille réussit à se trouver une place de parking puis se dirige d’un air décidé vers son coté de plage préféré. Deux petits oiseaux vont, en voletant au dessus de sa tête, dans la même direction. Amusée, elle regarde avec attention ses nouveaux amis. Si noirs. Pourraient-ils être des monarques de Tahiti? Cette espèce est endémique et en danger critique d’extinction. Les voilà qui se posent sur l’arbre qu’elle a choisi comme abri. Hina est persuadée qu’il ne s’agit pas de monarques mais prend une photo de ses voisins avant de s’allonger sur son paréo. Immédiatement, sa tête devient de plus en plus lourde, ses yeux se ferment. C’est le noir complet…

A suivre

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