Nouvelle : Le message (pt 2)

« Où suis-je? ». Hina reprend conscience. Quelque chose ne va pas. Elle ne sent plus sous elle le sable chaud de la plage de Pointe Venus. Un battement rythmé tambourine contre sa tempe et la douleur ne lui laisse pas d’autre choix que de garder les yeux fermés. Les secondes passent et son cerveau se reconnecte au reste de son corps. Aucune odeur reconnaissable. Aucune odeur tout court. Un brouhaha puissant et proche, fait de sons et de voix inconnus, s’élève autour. Elle n’est pas seule. Une agréable et familière sensation de flottaison l’interpelle, suivie instantanément d’une panique. Impossible que ce soit ça! Quand elle ouvre les yeux, tout n’est que bleu intense. Ses sens ne lui ont pas menti. Elle est sous l’eau. Persuadée d’être dans un rêve, ou un cauchemar, Hina se pince le bras; il parait que c’est ce qu’il faut faire pour s’en assurer : « Aie! ». Bouleversée, la jeune femme, en quête de réponse, regarde à gauche, à droite, en bas et s’arrête là. Pourquoi? Parce qu’elle n’aurait jamais pu rêver de ce qu’elle y voit. Une multitude d’animaux se trouve à ses pieds. Ils sont mille. Ou plus. Ou moins. Grain de sable dans un aquarium, notre intruse a perdu toute notion de mesure. Les baleines à bosse présentes y sont pour beaucoup dans cette impression. Des poissons, petits, moyens, gros, de toutes les couleurs, virevoltent, excités d’être présents. Des dauphins, des tortues, des raies attendent sagement le début de quelque chose.

Hina n’en croit pas ses yeux. Effrayée et à la fois fascinée, elle essaie d’identifier toutes les espèces présentes quand un son de ralliement l’interrompt. Son attention se pose sur le centre de l’assemblée. La tortue la plus grosse jamais vue, la taille d’un bébé baleine, vient d’apparaitre. Honu, c’est son nom, est la gardienne de l’océan. Aucun des animaux dans cette assemblée n’a connu un monde sans elle. Honu les a convoqués ; ils sont tous venus. Elle inspire un respect tel que même ses détracteurs la jugeant trop passéiste ont répondu à l’appel. Loin des regards humains, la faune marine vit une époque trouble. Tout commença par de l’inquiétude, puis une angoisse forte. La colère ne tarda pas à faire son apparition et à gagner du terrain au sein de la communauté. La prise de parole de la gardienne était attendue. Mais la rumeur dit qu’il n’y aura pas qu’elle qui parlera aujourd’hui. 

Honu lève les yeux vers l’assemblée, sourit et de sa voix grave et maternelle annonce le début de la réunion. Quelques animaux applaudissent.

Elle poursuit  : « Il y’a deux mille ans, les Hommes sont arrivés sur ce territoire. Nous avons tous entendu nos parents et grands-parents conter leur arrivée. Il ya deux mille ans, mes propres ancêtres les ont guidés le long de l’océan vers la terre. Nous étions leurs protecteurs. Ensemble, peuples de la terre, du ciel et de la mer nous étions un tout. Liés par une force invisible. » Honu hésite, fait une pause. Contrairement à ce qu’on pense, elle est en proie au doute. Elle sait que les prochains mots qui sortiront de sa bouche se doivent d’être à la hauteur. Les siens attendent une réaction. Positive ou négative qu’importe. Les choses doivent changer. « Depuis quelques décennies, les nouveaux hommes ont oublié notre droit à ce territoire. Et en même temps notre existence. Le lien entre eux et nous s’est cassé. J’entends vos pleurs. Je vois vos souffrances. Je ressens dans ma chair l’impact de la pollution que nous font subir les nou…»

Sortis de nulle part, une voix froide et tranchante résonne au sein de l’assemblée et coupe la parole à Honu : « Tuons-la! ». Hina comprend vite que « là » c’est elle. Sa présence était évidemment voulue. Figée par la peur, elle ne perd pas une miette de la scène.

Tous les animaux présents ont reconnu la voix. C’est ce que craignait Honu : « Montre toi Aito! » 

Une orque au regard méchant surgit de l’auditoire accompagnée de deux autres membres de son espèce. Aito est le chef du groupuscule de défense contre les Hommes. Depuis quelques mois, sa mission est claire : déclencher la guerre aux Hommes à l’aide d’une stratégie de propagande bien huilée. Il a judicieusement choisi son moment. L’heure est à la colère. Honu n’a pas voulu accorder de l’importance aux rumeurs sur les discours de Aito. Elle a trop attendu. Sans opposition idéologique claire, le camp extrême a eu toute la liberté d’instiller ses idées vengeresses dans les esprits des animaux marins, déjà excédés par les comportements humains. En convoquant l’assemblée, Honu lui donna la plus grande des tribunes pour rallier à sa cause les hésitants et répandre un peu plus son poison. Sans y être autorisée, l’orque rejoint le centre du cercle pour tenir tête à la tortue. Ce n’est pas ce qui était prévu. Honu doit apaiser la situation : « L’humain est ici en tant que témoin, non comme otage. »

Aito riposte : « N’en as tu pas assez de protéger les Hommes quand eux massacrent tes arrières petits enfants avec leurs engins motorisés? As-tu oublié les jours où l’océan trembla sous l’effet de leurs bombes? » La suite de son discours rappelle à tous la longue liste des méfaits des nouveaux hommes. Des murmures d’approbation se font entendre dans la foule. Hina a peur.

Aito enfonce le clou : « Tuons-la. Faisons-leur la guerre. Voilà notre message. »

La foule des animaux, galvanisée par ces mots, se met à scander le voeu funeste : « Tuons-là ». Honu tente de les calmer sans succès.

Dans cette confusion, une bande de murènes menaçantes en profite pour foncer sur Hina pour s’emparer d’elle. Elle doit s’enfuir. 

Peine perdue. Elle ne le voit que maintenant mais une longue algue est enroulée à sa cheville et la retient.

C’en est fini. Hina ferme les yeux, priant pour un miracle. Un. Deux. Trois secondes passent.

Quand elle les réouvre, son corps ressent à nouveau le sable chaud de Pointe Venus. Elle a le front en sueur et le coeur qui bat à vive allure. Une algue autour de la cheville. Les deux oiseaux ont disparu.

A son grand désarroi, l’alarme Tsunami se met à résonner dans toute l’ile.

Aito a gagné. L’océan est en guerre contre la terre. 

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