LemonBook : Tout le monde peut être féministe de bell hooks

Une discussion très récente avec un ami m’a fait réaliser qu’il manquait un élément contextuel à ma recommandation de livre ,essentiel pour prendre certaines fois du recul. Je vais y remédier. bell hooks, de son vrai nom Gloria Jean Watkins était une intellectuelle, universitaire et militante afro-américaine née dans les années 50 dans une ville du Kentucky (état avec un fort passé esclavagiste) aux USA. « Feminism is for everybody » en version originale et en français « Tout le monde peut être féministe » a été écrit en 2000 et publié en France que 20 ans plus tard par les éditions Divergences.

Ce que j’apprécie le plus dans l’écriture de bell hooks, c’est sa démarche scientifique dans son argumentation. Elle pose en premier les bases de sa réflexion. Elle définit toujours ce qu’elle compte développer dans les centaines de pages qui suivront. Dans “tout le monde peut être féministe”, qui est un essai pédagogique et vulgarisateur du féminisme, elle propose dès le début une définition de la chose.

Le féminisme est un mouvement qui vise à mettre fin au sexisme, à l’exploitation et à l’oppression sexistes

J’ai faite mienne cette définition. Elle correspond à ma vision du féminisme dans l’idée qu’elle n’oppose pas les femmes aux hommes; mais elle nous oppose collectivement au sexisme. Le sexisme est une attitude discriminatoire fondée sur le sexe. Il est la conséquence de l’organisation patriarcale de notre société qui est fondée sur la croyance que le sexe masculin serait supérieur au sexe féminin. Le féminisme est une révolution dont l’objectif final est d’éradiquer le sexisme de nos pensées, de nos actes, de notre société et de mettre fin à toute supériorité d’un sexe par rapport à un autre. Mais aussi à l’idée que le plus fort serait supérieur au plus faible, que le riche aurait plus de droits que le pauvre, que le parent aurait tous les droits sur l’enfant etc etc. N’oublions pas que le patriarcat est intimement lié à la notion de dominant-dominé.

J’ai plusieurs fois demandé à mon entourage leur définition du féminisme. Toutes les réponses étaient plus ou moins les mêmes : « le féminisme c’est pour la cause des femmes », « le féminisme c’est pour que la femme soit l’égale de l’homme ». Il y’a du vrai. Elles reprenaient toutes plus ou moins la définition popularisée du féminisme : doctrine visant à promouvoir et atteindre l’égalité entre hommes et femmes. Je la considère incomplète au regard de ma conception du féminisme. Voir le féminisme à travers le prisme de l’égalité hommes-femmes à l’échelle de la société a été un formidable tremplin pour obtenir des victoires politiques et citoyennes parlantes et visibles de tous pour les femmes. Ces luttes ont notamment permis aux femmes d’acquérir le droit de vote (en 1944 en France). Quelle incroyable avancée se fut pour la femme de pouvoir devenir une citoyenne à part entière et savoir que son avis et sa voix compte dans l’organisation politique de son pays. Mais force est de constater que malgré ce droit de vote, les femmes continuent d’être faiblement représentées dans l’arène politique. En France, les femmes constituent 52% de la population mais seulement 37,26% des députés sont des femmes à l’issue des législatives de 2022. Une autre grande avancée pour le féminisme et les droits des femmes de France a été en 1966 de pouvoir travailler sans le consentement des maris. Mais, en 2019, le revenu salarial des femmes en France était inférieur de 22% de celles des hommes en moyenne. Pour ces deux exemples, une certaine égalité a été atteinte au niveaux des droits mais dans les faits, les inégalités persistent. Parce que le sexisme persiste. 

Présenter le féminisme uniquement comme une doctrine visant à promouvoir et atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes n’a malheureusement pas amené à une révolution sociale mais plutôt à des solutions réformistes superficielles qui ont, certes, conduit certaines femmes à atteindre l’égalité avec les hommes mais au détriment d’autres femmes et hommes moins privilégiés. Qu’une femme devienne première ministre a été énormément applaudi par de nombreux médias comme une avancée de la cause féministe. Mais en quoi est ce une réelle avancée quand cette femme promeut une réforme des retraites dont les principales victimes seront des femmes parce que nous vivons dans une société profondément sexiste et que les femmes sont toujours lésées dans le milieu du travail et économiquement? Cette vision du féminisme est pratique pour établir des statistiques d’avancée de la situation entre hommes et femmes mais a échoué à réaliser un vrai travail de fond sur notre conception sociale des sexes pour abolir le sexisme.

Ne pas opposer les femmes aux hommes dans la définition théorique du féminisme n’efface en aucun cas la participation des hommes, en tant qu’acteurs ou complices, à cette oppression sexiste des femmes. Le patriarcat suppose la supériorité des hommes. Cette supériorité implique une relation de dominant/dominé qui est visible dans toutes les organisations sociales et est devenu la norme. Les hommes étant les grands gagnants du patriarcat, les dominants, il n’en est rien étonnant que la majorité soit aveuglée par cette prétendue domination et ne veuille pas d’une société plus juste. Face aux oppressions capitalistes et/ou racistes, certains hommes ne peuvent exercer leur supériorité que sur les femmes. Nous avons grandi dans une société qui valorise le concept de compétition et de la loi du plus fort. Il faut être le plus fort, le plus beau, le plus intelligent, le plus riche, le plus puissant pour se sentir accompli. Il est néanmoins rassurant de constater que cette vision de la vie est de plus en plus remise en question par la jeune génération. Mais, certains résistent et donc s’opposent au féminisme, participent et militent ardemment pour l’exploitation et l’oppression sexiste des femmes. 

Mais, il faut reconnaitre et accepter que les hommes sont aussi des victimes du patriarcat et du sexisme. J’ai grandi avec deux grands frères. J’ai été témoin et je le suis toujours de la pression mise sur eux pour être les hommes de la famille, les pourvoyeurs, les garants de la survie de leur famille, les plus forts physiquement et mentalement. L’impact du sexisme sur les hommes n’est en aucun cas comparable à celui que subit les femmes mais il existe. Le féminisme en tant que lutte contre le sexisme a aussi pour ambition d’aider les hommes à ETRE selon leurs propres termes.

Les hommes sont sexistes et aussi victimes du sexisme. Il en est de même pour les femmes. les femmes peuvent aussi contribuer à perpétuer une politique patriarcale. Tu en as déjà eu un exemple plus haut. Comment en aurait-il pu être autrement? Nous sommes des êtres sociaux et vivons dans une société patriarcale. Seul un miracle aurait pu épargner les femmes du poison qu’est le sexisme systémique. 

bell hooks le rappelle au début de son livre :

Pour mettre fin au patriarcat (qui n’est qu’une autre façon de nommer le sexisme institutionnalisé), nous devons affirmer clairement que nous participons toutes et tous à la perpétuation du sexisme, du moins jusqu’à ce que notre esprit et notre coeur soient transformés, jusqu’a ce que nous abandonnions la pensée et l’action sexistes pour les remplacer par la pensée et l’action féministes.

Elle nous amène de façon simple et directe en 166 pages (écrites en gros) à réfléchir sur le féminisme et son implication dans la vie quotidienne, intime et publique : la sororité, l’éducation, le féminisme et la lutte des classes, le féminisme et le travail, le féminisme et la parentalité, le féminisme et le couple etc etc

C’est la première fois que je recommande un essai donc je me permets une petite précision. J’ai quelques fois été dubitative sur certaines phrases de ce livre. Ceci m’a emmené à avoir une réflexion et à travailler mon esprit critique. Et heureusement d’ailleurs qu’un livre n’ait pas le monopole de ce qui est vrai. J’ai justement apprécié le fait de pouvoir lire des idées avec lesquelles je suis d’accord la plupart du temps et d’être capable quand il le fallait d’exercer mon esprit critique. Mais ces désaccords n’enlèvent rien à la qualité de cet oeuvre et au message qu’elle nous délivre.

Comme écrit sur la couverture, c’est un petit guide du féminisme à mettre en toutes les mains (très bonne idée de cadeau) et à garder à proximité de son lit pour se réaligner de temps en temps 😉

1 réflexion sur « LemonBook : Tout le monde peut être féministe de bell hooks »

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