LemonBook : Sukkwan Island de David Vann

Sukkwan Island m’a été offert par un ami proche. Je me plaignais auprès de lui du fait que mes dernieres lectures aient été majoritairement des essais féministes de surcroit qui parfois peuvent être durs émotionnellement à lire. J’avais envie de légèreté. Les romans lui semblaient une bonne alternative pour faire une pause. Il m’a donc expédié ici à Tahiti quatre romans de son choix dont Sukkwan Island. Avec ce conseil “Ne le lis pas si tu n’es pas en forme. C’est très sombre”. C’était il y’a plus d’un un an maintenant. J’ai lu les trois autres tout de suite après les avoir reçus. Sukkwan Island a du attendre Septembre dernier. Pourquoi? Le résumé de la quatrième de couverture est un indice :

Couronné par le prix Médicis étranger en 2010, Sukkwan Island nous entraine au coeur des ténèbres de l’âme humaine.

Le décor est planté. Au début, j’avais un peu peur de le lire, de ce que j’y trouverai et de ce que ça me ferait, moi qui cogite déjà assez sur tout et un peu trop, moi qui me pose constamment des questions sur qui je suis, pourquoi je suis comme ça et comment je peux m’améliorer. J’avais peur que ce livre m’amène dans des questionnements sans fin. Puis, le temps est passé. Il m’a fallu un an pour ouvrir Sukkwan Island et je regrette d’avoir mis autant de temps. Oui, j’étais dans une angoisse constante et une envie malsaine de savoir si la suite sera encore plus gênante pendant toute la lecture mais ça valait le cout. C’est un livre prenant. Dès le début, l’introduction, curieux mélange entre conte, confession intime et cours sur les débuts de l’humanité, accroche par la beauté et l’inventivité de l’écriture. Faire la chronique littéraire d’un roman est un exercice difficile pour moi. Comment décrire et expliquer ce que j’ai ressenti pendant la lecture, comment te livrer mes réflexions d’après lecture sans dévoiler les détails qu’il faut que tu découvres par toi même? 

Commençons par dire de quoi ça parle. Faisons un résumé. Ou non. Pour ne pas risquer le faux pas, cite à nouveau la quatrième de couverture : “Une ile sauvage du sud de l’Alaska, accessible uniquement par bateau ou hydravion, tout en forêts humides et montagnes escarpées. C’est dans ce décor que Jim décide d’emmener son fils de treize ans pour y vivre dans une cabane isolée, une année durant. Après une succession d’échecs personnels, il voit là l’occasion de prendre un nouveau départ et de renouer avec ce garçon qu’il connait si mal. Mais la rigueur de cette vie et les défaillances du père ne tardent pas à transformer ce séjour en cauchemar. Jusqu’au drame violent et imprévisible qui scellera leur destin”. Ce fils de 13 ans c’est Roy. On suit leur arrivée sur l’ile à travers ses yeux. On vit avec lui leur découverte des lieux, l’installation et la préparation pour l’hiver. On devine très rapidement que tout ceci n’est pas une bonne idée. On sent monter la tension et l’angoisse. Angoisse accentuée par la description du paysage de Sukkwan Island qui nous amène loin des clichés habituels sur les iles. La nature semble hostile à Sukkwan Island. Hostile parce que très présente, indomptable, dominatrice. Hostile parce que c’est à l’homme de s’y adapter et que cette adaptation n’est pas de tout repos. Que fait cet homme dans un lieu pareil avec son fils de 13 ans? 

13 ans. Qu’est ce que je faisais à cet age? J’étais en classe; je commençais à m’intéresser aux garçons; je portais mes premiers gloss; je me rebellais doucement; je faisais la grande mais j’étais encore un bébé. La responsabilité qui incombe à Rob sur cette ile, ses réactions et actions ne sont pas celles d’un enfant de 13 ans. Elles ne le sont plus en tout cas. On finit par oublier son age. On finit par oublier que c’est un bébé.

Un peu après le milieu du livre, le fameux drame arrive, sans crier gare. Je me souviens avoir relu plusieurs fois la page parce que je ne m’y attendais pas. J’avais imaginé autre chose mais pas ça. L’auteur, David Vann, à ce moment là nous tient. Il nous fait un cours magistral de suspense dans l’écriture et de retournement de situation qui m’a laissé sans voix. Impossible de s’arrêter là. Il nous faut comprendre maintenant. Il nous faut la suite. Non, ça ne peut pas se finir comme ça. La suite nous répond et elle confirme ce qui était perceptible au début de l’histoire mais que nous refusions d’admettre, tellement l’horreur est grande. Elle nous fait voir tous les indices dissiminés auparavant et qui indiquait le drame à venir. Comment aurait il pu en être autrement? 

Sukkwan Island est un livre qui aborde le sentiment de trouver sa place nulle part, la solitude, les maladies mentales, les traumatismes inter-générationnelles que laissent les parents à leurs enfants, de cette prison de gratitude due à la filiation que peuvent ressentir les enfants et qui leur fait se taire et subir.

Courez le lire.

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