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Fatuiva

Fatuiva – Hanavave vue des hauteurs Fatuiva se mérite. Y aller ou en revenir revient du parcours du combattant. Si comme moi, tu as le malheur d’avoir le mal de mer, le trajet sera ton enfer. Un enfer de quatre heures pour aller au paradis. Le capitaine du bateau mis à disposition par la communauté des îles Marquises (Codim) n’a pas pour mission de rendre agréable ton voyage. Sa mission est de t’y amener le plus vite possible par l’océan Pacifique faisant vivre une expérience de montagnes russes à ses passagers, habitants de Fatu Hiva qui rentrent chez eux, personnel du corps médical en mission ou rares touristes voulant découvrir cette île du bout du monde uniquement accessible en bateau.
Nous sommes arrivés à Fatu Hiva dans la baie de Omoa autour de 6h du matin. Après quatre heures de bateau sur une mer agitée, toute terre aurait été la bienvenue car libératrice. Accoster à Fatu Hiva fut plus que ça. Les hauteurs luxuriantes de verdure dominant le quai, les oiseaux dans le ciel, cette douceur de vivre palpable dans l’air et par l’accueil des habitants me firent oublier instantanément le trajet.
Il y’a deux villages sur l’île : Omoa et Hanavave.
Omoa m’a charmé par le délicieux spectacle des gygis blanches traversant le ciel bleu. Cette vallée abrite aussi les 19 Monarques de Fatu Hiva restants au monde. Endémique de l’île, ce petit oiseau noir au chant particulier, imitant à la perfection un chat qui feule, est discret et rapide. Le point culminant de mon séjour entier sur l’île fut d’avoir vu trois membres de l’espèce : un bout de celui qui gardait son nid en hauteur, un autre que j’ai vu en plein envol et le troisième posé sur une branche et que j’ai pu filmer.

Quai de Omoa On peut aller à Hanavave de Omoa par la mer ou par la route, en voiture ou à pied. Je ne peux que recommander vivement de le faire à pied. Tu apprécieras encore plus de découvrir l’intérieur de l’île ainsi en prenant le temps de t’émerveiller de ses paysages grandioses. C’est ce que nous avons fait.

Entre les deux vallées Voir des hauteurs de l’île le village d’Hanavave et sa baie est tout simplement magique. Baie qui est surnommée baie des vierges ou baie des verges pour les puristes. De verges, j’en ai vu qu’une seule : la baie est surplombée de trois grosses roches dont une, à un endroit du village, ressemble beaucoup à une verge. Nous aurions eu une meilleure vue en apercevant la baie de Hanavave par la mer ; il paraît qu’on en pleure tellement que c’est beau.

Entrée du village Hanavave Impossible de parler de Fatu Hiva sans mentionner ses habitants. Nous nous sommes sentis accueillis par l’île mais surtout par ses habitants. A Omoa, nous n’avions aucune réservation de logement ; notre plan était de trouver un petit endroit et dormir en tente. Nous avions opté pour le choix le plus simple : faire notre bivouac à côté du quai et de la plage, un peu exposés de tous et tout néanmoins. À peine avions nous commencé à nous installer que Sarah, une femme d’une soixantaine d’années environ, ancienne institutrice et toujours membre active de la communauté de Fatu Hiva, artisane de tapas, Sarah au joli tatouage sur la main, est venue nous chercher pour nous indiquer un endroit derrière chez elle plus discret, à l’ombre et proche d’un point d’eau. Je pense aussi à Norma et Edna du restaurant qui nous ont toujours chaleureusement accueillis. Ou encore à la jeune fille de l’association Manu qui nous a indiqué de manière très précise comment observer les monarques de Fatu Hiva. Ou à Simon le sculpteur avec qui nous avons passé un joli moment à discuter. A la gentille mamie qui vit en face de la mairie d’Hanavave. À tous ceux qui nous ont offert sans qu’on demande des fruits de leur jardin ou qui s’inquiétaient de savoir si on avait bien trouvé un endroit où dormir. Ou juste qui nous arrêtaient pour discuter. Je n’oublie pas la postière et son compagnon de route qui nous ont gracieusement offert à manger à mi-chemin de notre randonnée de Omoa à Hanavave. Aux danseurs qui nous ont permis de regarder leurs répétitions. À tous les habitants de Fatuiva.
Nous sommes restés cinq jours sur l’île. Cinq jours qui auraient pu se prolonger sans qu’on le souhaite d’ailleurs. Dernière anecdote : nous avons failli rater le bateau retour à deux minutes près. En route pour le quai 45 minutes avant l’heure du départ, nous avons eu la désagréable surprise de voir le bateau de la codim s’en aller… 45 minutes en avance!! Ils ont donc fait demi tour pour venir nous chercher après qu’on ait crié de toutes nos forces pour manifester notre présence sur le quai. Sacré Codim!
N’empêche que je reprendrais bien le bateau pour aller à Fatu Hiva.
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Souvenir d’une soirée
Hier, j’ai vu beaucoup de joie. De la sororité aussi. Un vent de liberté.
Une table de femmes. Que de femmes. Toutes les générations y étaient rassemblées et riaient d’une même voix.
Qu’est ce qu’elles étaient belles, libres, vivantes!
Avec leurs bières, leurs cigarettes, leurs histoires.
On pouvait les entendre à l’autre bout de la salle. Elles riaient à gorge déployée ne s’excusant pas d’être là.
Qu’est ce qu’elles étaient belles là à cette table à vivre ce moment pour elles!
Hier soir, je voulais être l’une d’elles. Il est où le génie de la lampe qui exauce les voeux?
Il a du prendre peur devant toute cette puissance qui se émergeait de ce coin du Royal Tahitien.
Je suis restée moi et j’ai gravé cette scène dans mon esprit.
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LemonBook : Ecotopia de Ernest Callenbach

« Trois états de la côte ouest des Etats-Unis – la Californie, l’Oregon et l’Etat de Washington – décident de faire sécession et de construire, dans un isolement total, une société écologique radicale, baptisée Ecotopia. Vingt ans après, l’heure est à la reprise des liaisons diplomatiques entre les deux pays. Pour la première fois, Ecotopia ouvre ses frontières à un journaliste américain, William Weston. »
J’ai repris mot pour mot le début du résumé de la quatrième de couverture pour commencer ma chronique ; ça fait une assez bonne introduction au livre et on est tout de suite plongée dans l’intrigue. Le roman s’articule autour des rédactions du personnage principal William Weston : qui sont soit des articles à destination du Times-Post où il décrit les aspects de la société écotopienne, soit des extraits de son journal intime où il aborde sans retenue son expérience d’Ecotopia.
Son journal intime est sans doute la partie la plus facile et agréable à lire par le coté récit initiatique. On peut y lire les échanges personnels entre William et les habitants de Ecotopia. Un certain voyeurisme nous pousse à continuer la lecture afin de savoir comment finiront les histoires de coeur de William. Mais ce sont, à mon humble avis, les passages du roman les moins instructifs. Par instructif j’entends qui fait naitre en toi une agitation viscérale ou cognitive propre à ces livres qui marquent et ont un impact sur ta façon de voir le monde ou de te voir toi.
Lorsque j’ai fini le livre, ma première pensée fut : “William Weston est un crétin”. Et je n’ai toujours pas changé d’avis. On le ressent tout au long des pages de son journal intime. C’est un américain imbu de sa personne, bourré de préjugés et macho. Il râle parce que les femmes d’Ecotopia semblent, au début, ne pas vouloir l’inclure dans leur monde de liberté sexuelle. On le voit tomber amoureuse d’une femme de ce pays et on devine que c’est sa liberté inconditionnelle et son non-désir de lui plaire qui le fait succomber. Il se permet donc de comparer les femmes d’Ecotopia aux femmes des États-Unis d’Amérique. Ces dernières seraient superficielles et perpétuellement dans un ennuyeux jeu de séduction qui fait peser de nombreuses attentes sur les hommes. Evidemment, il s’en moque maintenant. Le tout présenté sous le prisme de l’homme moderne qui a enfin compris que son monde a toujours été vain et qui revendique de plus en plus de l’authenticité. Bien sur, William Weston change au sein de la société ecotopienne. Heureusement d’ailleurs sinon ce serait un con, pas un crétin. Il s’adapte et accepte leurs habitudes si différentes des siennes. Mais la fin du livre, et je ne gacherai pas ta future lecture, montre qu’il est resté toujours l’égoïste du début. Bref, William Weston est un crétin. Et on ne va pas plus s’attarder sur lui.
Attardons nous plutôt sur ses articles au sujet de la vie en Ecotopia. Verdict : je m’y verrai bien y vivre. C’est sur avec quelques petites difficultés au début. Mais leur point de départ pour toute prise de décision qui est de maintenir un système à l’équilibre correspond à l’idée que je me fais d’un futur agréable dans lequel nous pouvons tous vivre. En Ecotopia, la perpétuité du vivant (hommes, animaux, plantes, arbres, océan, terre, montagnes etc etc) est l’objectif final. Qu’importe que cela occasionne une crise économique par exemple. Plutôt perdre de l’argent que de perdre notre planète Terre. Cette ligne directrice acceptée de tous donne lieu à des innovations technologiques et sociales surprenantes. Tellement surprenantes que j’en suis venue à chercher sur Internet si c’était vraiment faisable.
En Ecotopia, on travaille peu mais efficacement. Vingt heures de travail rémunéré par semaine. ils utilisent leur temps libre pour d’autres types de travaux : les arts, la musique, du travail pour leur communauté. Ou ils passent du temps ensemble, à ne rien faire comme mentionné dans le livre :
En Ecotopia, hommes et femmes ont cette aisance naturelle propre aux animaux. Au Cove, ils restent longtemps allongés et détendus, pelotonnés par terre ou sur un canapé, étendus au soleil sur de petits tapis ou des nattes, presque comme des chats. Ils s’étirent, changent de position, font de mystérieux exercices proches du yoga, et semblent jouir avec intensité de leur corps.
Un autre exemple : en Ecotopia, le plastique est biodégradable, pour de vrai. Il peut se réutiliser comme engrais. Rien n’est gaspillé. Je ne vais pas tout dévoiler de ces innovations, qui sont l’intérêt même de ce livre donc je m’arrête ici.
Mais ce pays n’est pas parfait. Malgré leurs prouesses au niveau écologique et leur connexion retrouvée à la nature, le pays n’a pas réussi à abolir les frontières entre races qui étaient présentes aux États Unis. On découvre une séparation raciale voulue par les noirs. Aussi, l’égalité hommes-femmes semble atteint au niveau légal, politique, intime mais malgré tout on perçoit une acceptation des stéréotypes du genre qui m’a interloqué. Je te laisse découvrir par toi même et en juger.
Pour être totalement honnête avec toi, j’ai fini déprimée après cette lecture. On se rend compte, pour peu qu’on soit sensible à la question écologique, qu’il suffirait d’un peu de volonté de nos dirigeants et d’empathie collective pour qu’on puisse tous vivre sur une Terre apaisée, qui respecte le vivant et qui a à coeur d’offrir un meilleur cadre de vie à la population. Il va sans dire que les décisions à prendre pour arrêter de vivre à crédit sur les ressources de la planète seront difficiles. Difficiles pour les humains contemporains dans cette société capitaliste, consumériste et individualiste. Un changement de paradigme créé par l’empathie nous ferait comprendre que posséder cent paires de chaussures pendant que tant de personnes vivent dans la faim est complètement vain. Ou de penser profit, profit, profit quand notre planète meurt à coup de recherche de profit.
Une fois qu’on, en tant que collectivité, pense ainsi, les décisions politiques radicales mises en place pour freiner la dégringolade ne seraient pas contestées. Ces décisions nous permettraient par exemple d’arrêter de produire autant de déchets parce que tout est fait pour nous faire consommer, jeter, consommer encore et encore. Mais pour qu’il y’ait changement de paradigme collectif, il faudrait que des actions concrètes soient déployées pour cette nouvelle éducation. Mais pour cela, il faudrait que nos politiques le souhaitent. Comment pourraient ils le souhaiter quand eux mêmes bénéficient de cette société capitaliste, consumériste et individualiste? Voilà pourquoi j’ai fini déprimée après la fin de cette lecture. C’est le serpent qui se mort la queue.
Déprimée mais inspirée. Inspirée d’essayer de poser des actes en adéquation avec cette nouvelle façon de voir la vie. Inspirée d’essayer de vivre dans une sorte d’Ecotopia personnelle où posséder n’est pas ce qui nous grandit en tant que personne et nous rend meilleur.
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Sortez-moi de là

Ceci est une tentative de m’extraire de ma situation réelle. Je poste cette photo-ci et je n’y suis pas. Et pourtant tout mon être réclame le bruit de la rivière qui coule, les odeurs fortes de la nature, la vue lointaine sur une montagne.
Je pense être actuellement dans l’exact opposé de tout ceci. Un bâtiment tout blanc et imposant de béton dont la proximité directe se fait avec un parking et une station-service. Une salle à la lumière froide et distante. Un bureau tout sauf intime sur lequel repose trois écrans.
Trois écrans qui seront mes compagnons de la journée. Ce sont mes outils de travail mais aussi ceux qui m’aident à me créer des reveries et sortir de cet endroit. Vive Internet.
J’ai signé un contrat. Un putain de contrat qui m’impose de rester assise pendant huit heures et me laisser bombarder de lumière bleue nocive pour les yeux. Du lundi au vendredi.
Dans quelques heures, le froid de la pièce se répandra jusque dans mes os. C’est physique mais pas que. Mon corps et mon âme se refroidiront. Je devais être druide dans une vie passée : dès que je mets les pieds dans cette boite de ciment, ma force vitale s’atténue. Une fois dehors, je revis.
Que s’est-il passé? Comment l’homme a pu accepter que se terrer dans une cage bureaucratique c’était ça la vie?
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Les petites joies
Tiens, voici un secret sur moi.
En train, je préfère m’asseoir dans le sens contraire de la marche. Quel bonheur c’est de continuer à profiter de la beauté du paysage laissé derrière dans le sillage du train. Quand les autres ne la voient plus. Jusqu’à ce qu’elle soit hors de portée de ma vue et qu’une autre ait pris sa place.
L’autre jour en voiture, cette même joie a pointé le bout de son nez. Dans le rétroviseur, tout était plus beau. Les couleurs étaient plus vives. Les rayons du soleil miroitaient sur la végétation.
Devant moi, cette fleur, je l’ai vu et la seconde d’après, elle avait disparu. Dans le rétroviseur, dans le passé, elle m’est apparu à nouveau se laissant admirer plus longtemps. Plus belle maintenant que j’ai le temps de la voir. Plus belle maintenant que je sais que je ne la reverrai plus.
Je me pensais une anxieuse du futur, à vouloir prévoir la moindre bifurcation de ma ligne de temps. L’autre jour en voiture, je me suis découverte nostalgique. Je travaille à devenir une amoureuse de l’instant présent, à vivre chaque fleur intensément.
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Tu ou Vous?
Tu. Vous.
« Bonjour, est ce que vous pouvez me dire quelle heure il est s’il vous plait? »
En France, le Vous est roi. Il m’était devenu familier à la longue. Je le trouvais élégant, sophistiqué. A Paris, il s’y prêtait si bien. Au point d’oublier le Tu de mon enfance.
A Tahiti, le Tu est réapparu dans mon quotidien. Je fus surprise, je m’en souviens avec émotion. Toute une éducation à refaire. Mon Tu n’était plus spontané ; je m’en voulais. A force d’entendre des Tu chantants et ensoleillés, il a fini par l’être. Pour de bon.
« Ia ora na, tu aurais l’heure s’il te plait? »
Le Tu brise les barrières. Il nous ramène à notre simple condition de vivant. Il nous rapproche. Il provoque des sourires. Il réchauffe les coeurs.
Rendez-nous nos Tu.
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LemonBook : Une chambre à soi de Virginia Woolf

J’en ai lu des essais dans ma vie d’adulte, plus que de romans, de pièces de théâtre ou autre style littéraire, et je crois dans une certitude sincère et peut être impressionnée qu’Une chambre à soi est l’essai le plus brillant que j’ai lu. Pas pour le fond.
Attends un peu, laisse moi préciser ma pensée. Il va sans dire que le fond de son propos est excellent. Fond que je pourrais résumer (trop) brièvement en disant que selon l’autrice (ou selon Mary Beton? C’est qui Mary Beton? j’en viens.), il est nécessaire pour une femme si elle envisage d’écrire et d’une façon shakespearienne, c’est à dire qu’on qualifierai de génie littéraire, de disposer de 500 livres de rente par an et d’une pièce à elle verrouillée à double tour, au delà de toutes les techniques, expériences, compétences, dons innés. Comme elle le précise plus loin dans son oeuvre, on pourrait comprendre ces deux conditions comme étant des métaphores pour illustrer la possibilité de méditer et la possibilité de penser dans la solitude. Mais, l’autrice revendique l’accent mis sur ces considérations matérielles pour être un bon écrivain. Qu’on le veuille ou non, il est difficile de passer outre la réalité et le vécu en tant que personne dans le processus de création intellectuelle ou artistique.
Car un génie comme celui de Shakespeare n’est pas né parmi des gens en train de se livrer à un travail pénible, au milieu d’êtres grossiers et d’esclaves. Il ne naquit pas en Angleterre parmi les Saxons et les Bretons. Il ne naît pas aujourd’hui dans les classes ouvrières. Comment, alors, eût-il pu naître parmi les femmes dont le travail commençait, selon le Pr Trevelyan, presque avant leur sortie de la nursery, qui étaient contraintes à ce travail par leurs propres parents, qui étaient maintenues à leur tâche par la puissance de la loi et des coutumes?
Je me suis donc amusée à convertir 500 livres de 1929, date d’écriture de cet essai, en euros de 2023. Je voulais me rassurer que c’était tout à fait faisable de gagner juste ce qu’il fallait pour vivre et écrire sans passer par une occupation professionnelle qui empêcherait ,telle une prison, de laisser libre cours à notre liberté d’esprit et d’action. Une rente de 47 mille euros par an net d’impôt c’est ça la clé? Pendant que j’écris ces mots, je jette un coup d’oeil à l’heure. 7h49. On est vendredi. Le réveil vient de sonner. Il va donc falloir mettre fin à cette frénésie de l’écriture et couper court à mon inspiration pour éteindre ce réveil, ranger mes affaires et m’en aller pour le travail. J’ai besoin de ces 47 mille euros par an.
N’empêche que ce réveil montre bien que Virginia Woolf a raison. Si j’avais une rente tous les mois sans avoir besoin de travailler, je n’aurais pas interrompu le flux d’inspiration de ce matin. Nous sommes actuellement en début de soirée et c’est moins fluide, il faut l’avouer. Posséder 500 livres de rente permet aussi d’avoir une pièce à soi c’est sur. Mais surtout, cet argent octroie une liberté de mouvement et de non mouvement nécessaire aux idées pour prendre forme dans l’esprit puis à l’écrit. La liberté de mouvement par les pays vus, les aventures vécues, les expériences de vie acquises. La liberté de non mouvement par la contemplation de la nature, l’observation de l’autre, l’introspection de soi. Au final si il fallait retenir une idée de cet essai ce serait que la liberté est ce qu’il faut à tout écrivain, homme ou femme.
L’art de création exige la liberté et la paix. Aucune roue ne doit grincer, aucune lumière vaciller.
Surtout aux femmes qui pendant longtemps (et dans certains endroits de la planète le sont toujours ) ont été privées de cette liberté, de bouger, de travailler, de parler, d’avoir une carte bancaire à son nom, de voyager seule, de voter, de penser, de vivre bon sang! Prenons une carte du monde et colorions en rouge les endroits où les femmes ont des libertés, la carte du 21 siècle serait plus rouge que celle du 20e siècle. Certes, Les choses évoluent. Notre époque apporte plus de liberté aux femmes qu’au siècle dernier au niveau mondial. Mais les femmes libres du 21e siècle portent l’héritage de ces siècles d’emprisonnement. Nous devons apprendre à être libres. Pour de vrai.
Maintenant, laissons le fond de ce roman et revenons à la forme. Bien que ça n’apparaisse pas dans le texte ci-dessus que nous étions à la forme, crois moi nous y étions depuis le début. Du moins dans ma tête. Revenons au pourquoi de mon amour pour cet essai. Comment Virginia Woolf nous livre son essai est une délicieuse surprise. Elle nous y dévoile sa pensée par le biais d’une fiction. Une autrice (Mary Beton, Mary Seton, Mary Carmichael, peu importe la Mary, peut être même Mary Kouassi) doit rédiger un texte sur “les femmes et le roman”. Elle nous fait voyager avec elle et à travers toutes ses pensées : les spontanées, les fantasques, les colériques, les intimes, les sérieuses. Nous la suivons, toujours dans la fiction (quoiqu’on se demande parfois si il s’agit de Virginia ou de Mary), dans son processus d’écriture. Nous vivons des situations de vie avec elle. Nous sommes avec elle dans ces bibliothèques à consulter des livres. Nous observons avec elle tous ces obstacles que rencontrait une femme aux 19e et 20e siècles pour accéder au savoir, accoucher d’une oeuvre intellectuelle, vivre de ses idées, obtenir la reconnaissance des autres. J’ai adoré cette fluidité et cette non-censure des idées dans l’écriture qui nous embarque à ses cotés du début à la fin. Oserais-je dire le mot liberté à nouveau? Nul besoin, tu as saisi mon intention j’en suis sure.
Plus qu’un livre féministe, cet essai est un exemple de belle littérature. A garder avec soi pour toujours. A lire et à relire pour le plaisir.
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Connectés
Le monde est vaste. Il est si vaste que des milliards de gens y vivent.
Si vaste que nous parlons des milliers de langue différentes.
Si vaste qu’à la même seconde, les uns profitent des plus beaux endroits de ce monde, certains perdent tout ce qu’ils possèdent dans d’importants incendies, les autres sont sur des yatch à manger du caviar, une partie peut à peine se nourrir.
A cette seconde, personne ne sait ce que l’autre vit. Les vies des chanceux continuent et ne sont nullement affectées par le malheur qui s’abat de l’autre coté de la planète.
Parfois si. Après. Grace à Internet, la radio, la télévision.
Mais pas longtemps. Juste le temps de refaire face à son quotidien. Le monde est si vaste qu’on se pense protégés par la distance géographique.
Imagine si tous les humains étaient interconnectés et ressentaient tout ce que l’autre subit. Que ferais-tu là maintenant?
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Imaginons le futur
Hier soir, tout en étant absolument pas en état de concentration nécessaire pour, j’ai entrepris le visionnage d’une émission Arte Twist : L’IA peut-elle créer de l’art? Je ne me sens pas suffisamment armée intellectuellement pour donner mon avis de non-expert en art ou en intelligence artificielle sur cette question mais j’ai bien écouté les experts ou aficionados de l’IA.
Les uns voient l’IA comme un outil puissant pour matérialiser des idées artistiques difficilement réalisables avec les outils matériels à disposition. Certains y voient comme de l’art même la matérialisation progressive de l’image faite par les algorithmes. D’autres pointent du doigt l’utilisation par l’IA d’oeuvres artistiques existantes pour créer comme la preuve indéniable de l’incapacité de l’IA à faire de l’Art. L’IA ne ferait que copier l’Art. Ces visions s’opposent mais ne peuvent-elles pas être tout autant vraies? A toi de me le dire.
Mais ce n’est pas ce débat qui a retenu mon attention hier.
Au début de la séquence présentant le duo d’artistes « Entangled Others » à 22:06, la voix off de l’émission dit :
Comment percevons-nous notre monde? La plupart du temps nous pensons par niche. Ici le numérique, là la nature et quelque part au milieu l’Homme. Mais que se passe t-il quand nous supprimons les frontières?
Je fais partie de ceux qui pensent par niche, et toi aussi peut-être. Mais la verbalisation de cette affirmation qui va de soi pour nous et qu’on n’a jamais estimé devoir repenser m’y a obligé à le faire. De plus en plus, avec la montée des mouvements écologistes et de l’urgence écologique, on entend une pensée qui fait « entrer » l’Homme dans la Nature. C’est fini la nature d’un coté et l’homme de l’autre. On admet que l’Homme fait partie de la nature, du vivant et donc doit en prendre soin. Nous voulons retourner à elle et faire un avec. Comme dans Avatar. Moi même, je m’imagine vieillir dans une cabane proche de la mer ou en forêt ; le point commun étant de s’éloigner de la civilisation bruyante, polluante et bétonnée, de retourner à la simplicité du vivant, d’être en harmonie avec la nature.
Après trois siècles, de la révolution industrielle à nos jours, à vouloir montrer la supériorité de l’Homme sur la nature et à s’en séparer, nous voilà donc à changer de paradigme. J’ai donc pensé. Attention comme dit au début, j’avais les yeux qui luttaient pour ne pas se fermer pendant le visionnage de cette séquence, mais ça m’a fait réfléchir et j’en ai tiré une réflexion, peut être simpliste mais qui m’a semblé interessant de noter.
Serait-ce possible que dans des centaines d’années, si l’Homme réussit à ne pas occasionner la disparition de notre civilisation, nous voyons l’intelligence artificielle comme étant du même coté que l’Homme et la Nature? Il n’y aurait plus de : ici le numérique, là la nature et entre les deux l’Homme. Ce serait un tout. L’Homme finirait par vouloir communier avec le numérique. Serait-ce possible que l’Homme arrive à vivre en harmonie avec la nature et le numérique ; sans relation de dominance et de subordination? L’Homme a été créé par la nature si on part du principe que l’Homme est le fruit de l’évolution d’une espèce issue de cette fameuse nature. L’intelligence artificielle a été créée par l’Homme des milliers d’années plus tard. Est ce que comme l’Homme qui s’est retourné contre son origine, son « créateur » dans son ambition de développement, l’IA finira par faire de même un jour? Doit-on en avoir peur?
Beaucoup de questions et peu de réponses. Pour le moment. Tu en penses quoi?
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« Il faut absolument que tu fasses ça »
Vivre à Tahiti c’est , parmi tant d’autres choses, vivre à moins de dix minutes en voiture d’une plage. Quelque soit la couleur du sable, blanc ou noir, ou de l’eau, turquoise ou bleue normal, les plages de Tahiti offrent un spectacle saisissant. Celle de la pointe Venus à Mahina ne fait pas exception : l’Océan Pacifique à perte de vue devant soi, l’ile de Moorea qui nous observe de loin et les hauteurs de Tahiti tout autour donnent un coté majestueux à ce tableau.
J’aime bien y aller les jours de blues en début de journée. Je me baigne timidement puis m’installe sur le sable chaud avec un livre, en quête de tranquillité. J’aime ma tranquillité mais je ne boude pas mon plaisir et j’observe les autres à la plage, la curiosité étant plus forte que le désir de solitude.
Aujourd’hui, une scène a retenu mon attention, assez pour m’amener à poser à l’écrit une pensée que j’ai depuis mon arrivée à Tahiti. Une femme, disons milieu de la quarantaine, s’est mise à interpeller son fils, bruyamment à mon avis ; mes yeux ont quitté les pages de mon livre pour eux. Son fils d’une dizaine d’années nageait, il serait peut être plus vrai de dire jouait dans l’océan, jusqu’à ce que sa mère l’interrompe. Elle lui annonça que c’est l’heure de s’en aller. Et que non, ils ne resteront pas plus longtemps, ils ont d’autres étapes et doivent s’y tenir. L’argument de fin a été : « allez on a plein d’autres choses à voir. Peut être que ce sera encore mieux qu’ici. Donc on y va ». J’imagine que c’était sa façon à elle de motiver son fils en promettant encore plus de plaisir et d’émerveillement dans le prochain lieu à visiter. On est à Tahiti et toute étape de voyage est à coup sur dépaysante. Mais, je me suis demandée : pourquoi s’en aller? Et je soupçonne son fils d’avoir eu la même pensée à l’allure nonchalante et réticente qu’il avait en sortant de l’eau. Un homme l’accompagnait, son mari. Lui aussi semblait passer du bon temps avec son drone à filmer la plage et ses alentours. Tout le monde semblait s’amuser mais il fallait s’en aller avec la promesse de peut être en avoir encore plus aux prochaines étapes. Tout le monde? Presque. La mère ne profitait pas, occupée à suivre le temps et veiller au bon déroulement de la journée. J’ai terriblement envie de digresser sur le fait que ce soit la femme qui parait porter le poids du succès des vacances de toute sa famille. Serait-ce un hasard? Ou charge mentale? Ou conditionnement féminin qui l’amène à se poser en garant du bonheur familial émotionnel? Ou juste moi qui sur-interprète? J’arrête donc ma digression ici et je reviens à mon propos initial.
Qu’est ce qui pousse cette mère à interrompre un moment aussi apprécié de toute sa famille? Pourquoi ne profite t-elle pas du présent plutôt que de penser à un potentiel plaisir à venir? Qu’est ce qu’elle a si peur de manquer? Qu’est ce que nous avons si peur de manquer?
Si je dis FOMO, tu connais n’est ce pas? ou Fear Of Missing Out soit la peur de rater quelque chose. Ce quelque chose peut être une information, le dernier restaurant à la mode, un événement, une vidéo virale en ligne. Cette « peur » s’est effectivement répandue avec l’apparition des réseaux sociaux et de l’hyperconnection qui nous permet de savoir tout ce qui va être fait et surtout tout ce qui a été fait et qu’on a manqué. Ce dernier aspect peut plonger dans un sentiment de regret d’avoir raté quelque chose et par extension, si on veut tirer le trait jusqu’au bout, dans une impression de mise de coté. On ne regrette que ce qu’on connait n’est ce pas? Le FOMO s’est invité partout, dans tous les aspects de nos vies. Et donc dans notre façon de voyager.
Lors de mon séjour au Japon en 2019, je me souviens m’être épuisée pendant ce voyage à vouloir tout voir, tout découvrir, tout manger. Je n’ai pas chômé. J’ai marché inlassablement pendant ces deux semaines et surtout j’ai peu dormi. Je suis rentrée de ce voyage satisfaite par la claque culturelle et visuelle mais je suis rentrée fatiguée. Je partais en vacances parce que j’étais fatiguée par le travail et je suis revenue dans le même état voire pire. Mais j’ai coché toutes les cases de ma liste « Les choses à voir au Japon».
A Tahiti, le phénomène FOMO est bien ancré. Qu’on soit voyageur de deux semaines ou expatrié installé à Tahiti pour 6 mois, un ou deux ans, nous sommes tous venus ici la tête pleine d’images paradisiaques d’eaux turquoises, de forêts luxuriantes, de coutumes exotiques. Images nous provenant de la télévision, de cartes postales mais surtout de photos prises dans les iles de Polynésie française et de témoignages :« Il faut absolument que tu fasses ça ». A mon arrivée, je me suis sentie à l’étroit dans la quasi-totalité de mes interactions avec les autres expatriés et touristes. Toutes les conversations étaient obligatoirement orientées vers le même sujet : la liste des choses faites ou à faire.
« On est allés ici, on a fait ça, ça, ça et ça », « la semaine dernière, j’ai fait le Te Pari », « Ah oui je l’ai faite cette rando. Elle est trop bien. Par contre tu as fait l’Aorai? ». Faire. La langue française est tellement riche de mots qui pourraient aisément remplacer ce verbe dans ces situations : visiter, marcher, monter, voir, plonger, nager etc etc. Leur non-utilisation en dit long sur notre façon d’envisager la découverte de ces iles magnifiques. Quand j’entends « fait », je visualise la liste à cocher : fait, fait, fait, fait, au suivant. Il ne s’agit presque plus de découvrir, il s’agit presque juste de montrer qu’on l’a fait, qu’on y était et de prendre la photo qui va bien. On ne prend plus le temps : « au vu des activités à faire d’après le guide, trois jours suffisent pour cette ile ». Si il n’y a plus rien à faire, à quoi bon y perdre du temps? Voilà ce que dit notre utilisation à outrance du verbe « faire ». Je me trompe peut être. Ça peut être aussi juste un manque de vocabulaire ou une simplicité du langage pour aller droit au but. Mais tant d’exemples prouvent que bien des gens, inconsciemment je l’espère, pensent ainsi. J’en ai été le témoignage plus haut moi-même. J’entends et je vois bien l’urgence que les gens ont ici à Tahiti de visiter le plus d’iles possibles et d’en profiter au maximum quitte à rester que deux jours. « Faka et Rangi, c’est que pour la plongée. Si tu ne plonges pas ça ne vaut pas la peine ».
Mais, qu’en est-il de ses habitants, de leurs habitudes et coutumes, de l’atmosphère, du mana, de la singularité de ces iles en dehors des attractions touristiques?
En aout 2022, nous sommes allés avec mon copain à Huahine, une ile de Polynésie française. Nous y avons passés cinq jours. A notre retour, il a fallu passer par les traditionnelles questions sur ce qu’on avait pu faire. J’ai eu l’impression d’avoir manqué pas mal de choses si on se fie à la liste à cocher. Mais en même temps, dans mon souvenir, j’avais passé des vacances inoubliables à prendre le temps, à découvrir l’ile en scooter, à marcher, à profiter d’un lieu si on s’y sent bien plutôt que de se précipiter à l’autre bout de l’ile pour visiter la seule distillerie du coin. Pour pouvoir dire qu’on l’a fait. J’ai chéri ces moments et je garde un fort souvenir de Huahine. J’y retournerai avec joie.
Je comprends la dame du début de mon propos. Il y’a tant de belles choses à voir et en si peu de temps. Ils ne reviendront surement jamais. Les vacances ont une durée limitée, le billet a couté cher, il faut rentabiliser le temps passé ici. Notre société pressée pense ainsi. Et nous avons l’impression de ne pas avoir le choix de penser autrement. Avec le travail et les vacances scolaires, tant de paramètres nous brident dans notre soif de découverte et dans la gestion de notre temps. Pendant le confinement, nous étions pourtant tous unanimes que ce moment ralenti dans l’histoire, où nous avons pu avoir le temps (un peu trop et parfois dans de mauvaises conditions ne l’oublions pas), où nous avons laissé respirer la nature était à chérir. Après la période confinement, les grandes villes se sont vidées de leurs habitants à la recherche de calme et de plus de temps pour soi. Les voyages en van se sont multipliés depuis. Les congés sabbatiques pour prendre le temps de voir le monde aussi. Les choses changent. Nous prenons le temps mais pour courir à tout va comme des poulets sans tête. Nous ne nous donnons pas le temps de se découvrir soi même et de ressentir le calme intérieur. Le temps de vivre la beauté présente. Et c’est tout.
